Le sujet est crucial. A Bruxelles, il représenterait une valeur économique de 5,5 milliards sur dix ans et concernerait 120 à 140.000 emplois. Pourtant il reste largement tabou. Il y a trois ans, la Chambre de Commerce de Bruxelles, BECI, a donc décidé de prendre à bras le corps la question de la transmission d’entreprise en créant le Hub Transmission. Erick Thiry, son initiateur et animateur, est la personne idéale pour brosser le tableau de la situation.
Pourquoi la Chambre de Commerce a-t-elle décidé d’intervenir dans la transmission d’entreprise ?
Erick Thiry : La transmission est une étape de la vie de l’entreprise comme toutes les autres, sauf que les entrepreneurs européens la considèrent comme très confidentielle. En communiquant à son propos, ils craignent d’inquiéter leurs clients, leur personnel et même leurs fournisseurs. Les bruits se propagent si vite. Les chefs d’entreprise considèrent donc qu’annoncer que leur société est à reprendre constitue un ‘danger’ important. Ils hésitent à chercher de l’information, redoutent de participer aux événements organisés sur ce thème de peur d’être identifiés et essaient de se débrouiller seuls avec des conséquences souvent négatives pour l’entreprise. Sept entrepreneurs sur dix par exemple n’imaginent pas que la transmission d’une entreprise nécessite une préparation en amont.
Cela rend très difficile l’identification de ce marché potentiel. Il est pourtant très important. En effet si vous proposez à dix entrepreneurs dont la société n’est pas officiellement à céder de discuter avec un repreneur potentiel, près de 60% d’entre eux vont répondre positivement !
Le Hub Transmission existe depuis presque trois ans. Je l’ai créé pour la Chambre de Commerce parce que je trouvais que ne pas accompagner l’entrepreneur dans cette période de la vie de son entreprise était un manque dans notre ‘Life Cycle’ de l’entreprise. En effet, comment expliquer qu’après l’avoir accompagné dès la création de celle-ci, l’avoir aidé à se développer, à trouver des clients, à s’internationaliser, lui être venu en aide en cas de petit ou gros pépin via notre CED (centre d’aide d’entreprises en difficulté), nous ne serions plus là le jour où il s’agit pour lui de la transmettre?
Concrètement, comment venez-vous en aide à l’entrepreneur qui vous consulte ?
E.T. : En tant que Chambre de Commerce, notre vocation est l’accompagnement. Nous ne sommes pas là pour vendre mais pour aider à préparer l’entreprise. Il existe suffisamment de sociétés dont le métier est de vendre. Le nôtre est d’accompagner les entrepreneurs tant dans la cession qu’à l’acquisition.
Lorsqu’un entrepreneur nous sollicite pour la transmission de son entreprise, nous commençons par réaliser un audit, un vrai diagnostic qui nous renseigne sur son contenu, son comportement, ses points forts et ses points faibles. Nous agissons en tant que coordinateur du projet mais l’expertise est apportée par nos partenaires tels que Partena, Belfius, WCI, Actoria, etc… Nous communiquons ensuite au chef d’entreprise une série de recommandations destinées à préparer sa société à la transmission, à la rendre plus attractive pour les acquéreurs et surtout à en optimiser le prix de cession. Commence alors un travail d’accompagnement qui peut prendre jusqu’à trois ans selon la tâche à effectuer. En effet, certaines entreprises dont le chiffre d’affaires est en régression depuis plusieurs années avec des résultats négatifs demandent parfois une plus longue préparation qui peut inclure un redéveloppement de l’activité.
Parallèlement à ce travail de préparation, nous recherchons des acquéreurs. Le Hub Transmission en compte près de quatre cents dont les moyens financiers varient entre 200.000 € et 40.000.000 € de fonds propres. Une démarche très similaire s’applique à eux: nous les recevons et étudions leur profil et leurs attentes ainsi que la valeur ajoutée qu’ils peuvent apporter à l’entreprise. Si l’une des sociétés que nous possédons en portefeuille correspond à leurs caractéristiques, nous organisons une mise en contact. Notre mission est de s’assurer de la pérennité de l’entreprise, de la qualité de la transmission, et d’aider l’entrepreneur-acquéreur à redévelopper le business qui va générer de l’emploi. C’est une mission très prenante mais très intéressante.
Dans quel contexte les entrepreneurs désireux de procéder à une cession vous consultent-ils ?
E.T. : Il faut tenir compte d’une importante composante émotionnelle. Souvent en effet, c’est l‘entourage de l’entrepreneur qui le presse de vendre son affaire afin de profiter d’une retraite bien méritée. Mais lui qui y a consacré vingt, trente ou quarante ans de sa vie n’a pas nécessairement envie d’arrêter, de se retrouver du jour au lendemain sans activité, coupé de tous ses repères sociaux. C’est donc à contre cœur qu’il se résout le plus souvent à vendre. Régulièrement aussi, les patrons se font une idée fausse de la valeur de leur entreprise, ils la surestiment et sont d’autant plus déçus de l’évaluation qui en est faite.
J’ai pris le parti d’expliquer très clairement ce qu’il en est à mes interlocuteurs. Je pense que c’est la meilleure façon pour eux d’appréhender leur situation. Je ne suis pas là pour vendre des entreprises mais pour accompagner des entrepreneurs dans leur transmission. Je pense qu’ils ont besoin de conseils vrais, qu’on leur dise quand ils font quelque chose qui n’est pas opportun.
Quelles autres activités proposez-vous aux entrepreneurs bruxellois ?
E.T. : Nous organisons des conférences sans liste de participants ni badges, réservées aux entrepreneurs cédants ou aux acquéreurs. Quatre fois par an, des ‘panels de discussion’ très appréciés permettent à des entrepreneurs qui ont déjà cédé une entreprise de livrer leur témoignage sur ce qu’ils ont vécu, quelles ont été leurs difficultés. Quant aux acquéreurs potentiels, ils sont invités à participer à des ‘speed-datings’ qui permettent à chaque fois à une vingtaine d’entre eux de se rencontrer dans l’optique d’une collaboration future. En effet, ils préfèrent souvent se lancer à deux ou à trois plutôt que seuls pour des raisons psychologiques, financières ou de complémentarité. Ils peuvent aussi assister à des présentations de sociétés anonymes en quête de repreneur. Cela nous permet d’accélérer un peu le processus de cession de certaines entreprises.
Quels sont vos liens avec les autres services de la Chambre de Commerce ?
E.T. : Depuis le début 2017 nous avons développé avec succès les services aux investisseurs étrangers en collaboration avec notre département international. A la faveur de ses différentes missions, celui-ci identifie des groupes étrangers désireux de s’implanter en Belgique par le biais de l’acquisition. Ce sera par exemple le cas d’une société d’intérim néerlandaise projetant de s’étendre en Belgique qui cherchera à acquérir une société d’intérim en Belgique. Nous avons fait en sorte de pouvoir répondre à ces demandes. Nous adoptons alors une démarche plus proactive vis-à-vis des entrepreneurs disposés à une cession. Nous n’attendons pas qu’ils viennent nous voir.
Nous avons aussi initié une collaboration étroite avec notre département ‘starter’ qui aide les jeunes starters à démarrer leur activité. Une fois que leur business plan a été développé, qu’une étude de marché a été effectuée, que le produit est viable, qu’il y a du répondant sur le marché, ces jeunes gens ont besoin de fonds pour se développer. Sachant que 30 % des acquéreurs répertoriés par le Hub Transmission sont favorables à l’idée d’investir dans une jeune société, nous leur présentons régulièrement nos meilleurs starters.
Compte tenu du fait que 30 % de nos investisseurs se déclarent également prêts à acheter une entreprise en difficulté, nous avons créé une relation constructive avec notre service CEd (Centre pour entreprises en difficulté) qui nous permet de diffuser l’information auprès de nos acquéreurs et investisseurs lorsque nous sommes approchés par une société en difficulté financière mais intéressante à redresser.
Avez-vous d’autres projets ?
E.T. : Le Hub Transmission voudrait développer certains aspects spécifiques de la transmission.
Début 2018, nous voudrions commencer à diffuser de l’information sur la reprise des entreprises par les employés sous forme de coopérative. Il faut en effet savoir qu’un bon nombre d’entreprises, principalement les petites TPE, ne sont pas vendables parce qu’elles ne sont constituées que d’un patron (par exemple plombier ou électricien) travaillant avec un ouvrier ou un apprenti. Sans son patron, cette entreprise n’a plus beaucoup de sens. Pour un acquéreur externe qui ne connaît pas forcément le business, les clients, qui n’a pas la maîtrise du produit, de la technique, il est compliqué de reprendre une telle affaire. Par contre l’employé qui a travaillé pendant dix ans avec son patron serait tout indiqué pour reprendre son activité, sauf qu’en général il ne dispose pas des fonds nécessaires. Il nous faut vérifier si la législation belge permet ce genre d’opération, si l’on peut la faciliter grâce à des incitants fiscaux ou des financements particuliers, et en tout cas faire de la sensibilisation auprès des employés pour les informer que cette possibilité existe. Cela pourrait faire partie des futur travaux d’investigation du Hub Transmission.
Nous voudrions aussi développer la cohésion via l’entreprenariat. Les entrepreneurs bruxellois présentent en effet une grande diversité tant géographique que générationnelle ou de genre. Force est de constater que 90% de ceux qui nous consultent aujourd’hui sont des hommes et nous aimerions contribuer au développement l’entreprenariat féminin. Parmi nos candidats investisseurs, certains ont tout juste 30 ans alors que d’autres veulent se consacrer à un projet qui leur soit propre après avoir quitté de grosses structures où ils ont fait carrière. Nous voudrions démontrer que l’entreprenariat est un facteur de cohésion entre ces différents profils.
Au bout de près de trois ans d’existence, quel est votre bilan ?
E.T. : Ces trois années de sensibilisation des entrepreneurs ont un impact assez visible: au début de son existence, le Hub Transmission était consulté essentiellement par des entrepreneurs de 65 à 70 ans minimum. Aujourd’hui nous sommes sollicités par des chefs d’entreprise de 55-57 ans qui ont compris qu’une transmission réussie se prépare deux ou trois ans à l’avance, à une époque où le management possède encore l’énergie nécessaire pour travailler au futur de l’entreprise.
Nous traitons actuellement les dossiers d’une petite quarantaine d’entreprises. Compte tenu de la période de préparation nécessaire à une transmission réussie, nous ne sommes encore qu’au début de nos activités. En 2017, nous espérons avoir contribué à la vente au moins de six entreprises qui sont actuellement en négociation finale. Mais ces chiffres vont désormais augmenter tous les ans puisque nous sommes au-delà du délai de préparation indispensable.
S'informer sur la transmission?
La Chambre de Commerce, 1819.brussels et de nombreux autres partenaires organisent La Semaine de la Transmission du 23 au 27 octobre prochain.
Découvrez le programme des conférences, ateliers et rencontres sur http://www.1819.be/fr/semainedelatransmission
Interview par Catherine Aerts