D’après un sondage réalisé par la Commission Européenne en 2017, 95% des belges estiment qu’il est important de protéger l’environnement et 88% pensent pouvoir y contribuer. Est-ce que ces déclarations se reflètent dans les comportements de consommation ? Comment les pratiques de consommation évoluent-elles ? Existe-t-il des leviers pour faire changer les comportements des consommateurs ? Découvrez des éléments de réponse et quelques pistes d’actions !
Des consommateurs schizophrènes ?
En 2017, plus de 3 consommateurs européens sur 4 considèrent qu’il est important de protéger l’environnement. Ils sont même 95% en Belgique et 88% des Belges sont prêts à agir en ce sens. Cette sensibilité est croissante : entre 2012 et 2018, le nombre de français déclarant être préoccupés par les questions environnementales a augmenté de 11 points pour atteindre 80%. Cependant, cette préoccupation ne se reflète pas vraiment dans les pratiques de consommation. En effet, si 2/3 des européens trient leurs déchets, ils sont moins de 30% à acheter des produits locaux, à agir pour réduire leurs consommations d’eau et d’énergie, à recourir à des modes de transports doux, etc. L’ObSoCo, l’Observatoire français des Sociétés et des Consommations, a pu observer que la sensibilité environnementale est croissante avec l’âge et le niveau de revenu mais diminue avec l’intensité de la contrainte budgétaire et le matérialisme.
En France, 86% des consommateurs perçoivent la consommation comme nuisible à l’environnement mais 74% estiment que consommer, pouvoir acheter ce qui fait plaisir, contribue fortement au bonheur. L’ambivalence des consommateurs se matérialise par, d’un côté, une attitude négative à l’égard de la consommation (chez 58% des français), de défiance vis-à-vis des grands acteurs de l’offre (marques, grandes distributions, grandes entreprises,…) et, de l’autre, une progression de l’appétence à la consommation entre 2012 et 2015 même si cette dernière tend à se stabiliser en 2018. La défiance vis-à-vis des grands acteurs de l’offre est illustrée par le fait que 91% des français considèrent les fabricants comme responsables de l’obsolescence programmée et qu’ils accordent davantage de confiance – par ordre d’importance – aux associations de consommateurs, aux artisans, aux petits commerçants, aux paysans, aux petites entreprises et aux agriculteurs.
Cependant, malgré cette ambivalence, le désir de « consommer mieux » est de plus en plus présent chez les consommateurs : ils représentent 42% des consommateurs français interrogés en 2018. Mais qu’est-ce que « consommer mieux » ? Quelles sont les pratiques de consommation émergentes ?
Vers de nouvelles pratiques de consommation
Depuis 2012, l’ObSoCo suit un ensemble de pratiques de consommation émergentes : don / emprunt de produits, glanage, achat mutualisé, « direct-producteur », achat / vente d’occasion, recours à la location, mise en location, hébergement entre particulier, co-voiturage, adhésion à des Systèmes d’Echanges Locaux (SELs) ou des réseaux d’achats groupés de produits alimentaires, « faire soi-même », souscription de forfaits / d’abonnements, crowdfunding, monnaies virtuelles / locales, etc.
La réduction du pouvoir d’achat résultant de la crise économique a contribué à l’émergence de ces pratiques de consommation. Mais, elles continuent à croître malgré la reprise, ce qui témoigne d’un processus de transformation du modèle de consommation. L’ObSoCo constate notamment une augmentation des achats mutualisés (+ 5 points entre 2012 et 2018), du covoiturage (en tant que conducteur ou passager), des SELs et des réseaux locaux d’achat groupé de produits alimentaires (la part des consommateurs a doublé en 6 ans et s’établit respectivement à 8% et 10%), de l’hébergement entre particuliers, du glanage (+3 points et 41% de taux de pénétration).
Le don, l’emprunt, l’achat d’occasion et l’achat direct-producteur connaissent un léger recul entre 2012 et 2018. L’achat direct-producteur recule au profit des achats en vrac (+6 points) et des achats chez les producteurs par l’intermédiaire d’un site internet (+11 points).
Le « faire soi-même » est pratiqué par 8 français sur 10. Cette pratique de consommation concerne : le bricolage (68%), le jardinage (60%), la production de confitures (49%), réparation ou entretien de son véhicule (39%), fabrication / restauration d’objets ou de meubles (44%), production de jus de fruit (45%), fabrication de son pain (49%), de ses produits d’entretien (30%), de ses cosmétiques (23%), confection de ses vêtements (30%), production de ses pâtes alimentaires (25%). La pratique du « faire soi-même » augmente avec l’âge et diminue avec la taille de l’agglomération et les deux principaux moteurs de ce type de consommation sont le plaisir de faire soi-même (57%) et les économies (45%).
Concernant l’économie de l’usage, 77% des français déclarent privilégier l’usage à la possession mais en réalité, ils sont moins nombreux à renoncer à la propriété. Le recours à la location est plus fréquent pour des occasions particulières (équipements de loisirs, matériel de puériculture, outillage, etc.). De plus, si 56% des français disposent d’abonnements, ils concernent en grande majorité la culture et le divertissement.
Bien que ces pratiques de consommation émergentes progressent, elles concernent encore une proportion limitée des consommateurs. Et le modèle de consommation tend à se fragmenter entre les individus qui adoptent ces pratiques pour consommer mieux, avec plus de sens, de manière plus collaborative et ceux qui souhaitent rester dans les pratiques traditionnelles de consommation. Comment réduire cette fragmentation et augmenter encore la pénétration des consommations alternatives ?
Des leviers pour faire évoluer les comportements
Plusieurs facteurs poussent un individu à agir ou à ne pas agir : l’habitude, le confort, le manque de choix, un désaccord, une envie, le prix, la simplicité, etc. Mais, cet individu n’agit pas isolément : il évolue dans différentes dimensions – des petits groupes (famille, réseaux d’amis, collègues, voisinage), des catégories sociales / sociétés / cultures et dans un environnement physique qui peuvent influencer ses choix. Partant de ce constat, la consommation n’est pas seulement un acte économique mais elle est aussi un acte utilitaire, symbolique, identitaire (affiliation et distinction), politique. Compte tenu de ces éléments, il existe quatre grandes familles d’instruments qui peuvent aider à faire changer les comportements.
Les instruments économiques : comment l’offre peut faire évoluer la demande ?
En théorie, l’homo oeconomicus est rationnel : il effectue des arbitrages de consommation selon ses contraintes budgétaires, cherche à maximiser son profit, ce qui laisse à penser qu’il répond parfaitement à un « signal prix ». Or, la rationalité d’un individu peut être limitée, par une habitude, l’aversion pour la perte et le risque, par une asymétrie d’information entre les individus, par l’influence du comportement des autres (normes sociales, morale etc.), etc. Concevoir des offres intégrées, c’est à dire où le consommateur est informé et accompagné dans l’utilisation du service ou du produit, peut être une solution. Il est notamment important de communiquer sur les gains potentiels générés par l’offre puis d’évaluer les gains réels. La labellisation des produits est également un levier qui limite l’asymétrie d’informations entre les individus : les labels envoient un signal de qualité aux consommateurs.
Les instruments d’information et de communication : Comment faire évoluer les préférences des consommateurs ?
On distingue l’approche cognitive dans laquelle l’action est déterminée par la pensée (« penser = agir »), de l’approche comportementaliste où l’action influence la pensée, on pense en fonction de ce que l’on a fait (« agir = penser »). Partant de ce constat, il y a deux approches possibles pour faire évoluer les comportements des consommateurs. Si les entreprises considèrent que leurs clients cherchent à maximiser leur utilité et que, pour ce faire, ils recherchent activement des informations pour procéder à leur choix, elles peuvent recourir à des campagnes d’information et de sensibilisation ; au marketing social – i.e. segmenter les messages en fonction des cibles (messages centrés sur les économies, la santé, l’environnement, etc.), ou encore au marketing individualisé (par exemple, offrir un test gratuit). Ces outils peuvent être complétés par une communication engageante fondée sur l’idée que l’expérience conditionne la pensée (approche comportementaliste) : il s’agit ici de demander aux consommateurs de réaliser un acte qui les aidera à initier un changement. Les entreprises, voire un consortium d’entreprises, peuvent lancer des défis à leurs consommateurs (« je m’engage à… »).
Il existe aussi deux instruments d’information et de communication fondés sur l’influence des pairs sur les individus. Les entreprises peuvent recourir aux nudges ou à des incitations : il s’agit de fournir aux consommateurs des données sur ce que font leurs pairs (par exemple, leur niveau de consommation d’énergie, ou le % de clients qui réutilisent leurs serviettes dans les hôtels). La comparaison sociale incite les consommateurs à changer leurs comportements. Un autre levier est d’accompagner / coacher des petits groupes d’individus à adopter de nouveaux comportements (défi familles – énergie positive, zéro déchet, etc.). Ils deviendront ainsi des groupes pionniers et agiront comme des prescripteurs. Ce type d’actions peut être mené par un consortium d’entreprises ou avec l’aide des pouvoirs publics.
Les instruments techniques, d’aménagement et d’infrastructure : Comment l’environnement matériel peut-il faire évoluer la demande ?
Le comportement des individus peut être influencé par son environnement : les objets, les dispositifs matériels, les aménagements, etc. Il est donc intéressant d’en tenir compte dans l’aménagement de son lieu de vente, dans la conception de son produit, de son packaging, etc. Par exemple, la réduction de la taille des assiettes, la vente en vrac contribuent à limiter le gaspillage alimentaire.
Les instruments juridiques : Comment faire évoluer la demande en changeant les règles du jeu ?
Les normes sociales conditionnent les pratiques individuelles : elles peuvent donc être un frein comme un levier pour faire changer les comportements. Les actions de lobbying auprès des pouvoirs publics constituent un levier pour faire évoluer les normes juridiques et réglementaires.
Pour réussir à faire changer les comportements, il n’y a pas de levier miracle, universel. Le changement de comportement étant un processus, il est important de combiner plusieurs leviers, dans une logique multi-acteurs (avec le concours d’autres entreprises, des pouvoirs publics, de relais locaux – associations, etc.) et à différentes échelles (l’individu, le groupe, l’environnement).
Cet article résume les principales conclusions présentées lors du séminaire organisé le 14 juin 2018 par le cluster en Economie Circulaire, circlemade.brussels qui a rassemblé plus de trente entrepreneurs bruxellois et acteurs régionaux autour du thème ‘Changements de comportement des consommateurs et des messages-clés pour convaincre’. Pour aborder ce thème, le cluster circlemade.brussels a fait appel à Véronique Varlin de l’ObSoCo - l’Observatoire des Sociétés et des Consommations qui cartographie et évalue les pratiques de consommations en France - ainsi qu’à Solange Martin, Sociologue, co-auteure du rapport Changer les comportements, Faire évoluer les pratiques sociales vers plus de durabilité publié par l’ADEME (Agence De l’Environnement de la Maîtrise de l’Energie) en septembre 2016.
Retrouvez les présentations des intervenants de ce séminaire sur le site de greentech.brussels .