Vincent Demulière

Quartier Libre, modèle de librairie 4.0.

Une fois n’est pas coutume, voici le portrait d’un entrepreneur français arrivé à Bruxelles pour des raisons familiales. Le projet de ce libraire 2.0., amoureux des belles lettres et des contacts humains, est en voie de concrétisation. Bienvenue au cœur du concept de Quartier Libre.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’origine de votre projet ?

Vincent Demulière : La première graine a germé au tournant des années 2000, lorsque le digital a commencé à peupler nos vies et qu’Amazon a vu le jour. Le monde du livre ne s’est pas tourné naturellement vers le digital. Sa mutation a été ralentie parce que l’objet livre est valorisant, support d’une véritable symbolique. Nous, les libraires, avons pensé qu’après avoir manqué le rendez-vous de l’e-commerce et de l’e-book, nous avions tout intérêt à nous recentrer sur notre métier, la librairie, où nous étions intouchables. C’était compter sans Amazon qui, après avoir fait du livre l’un des produits les plus vendus sur Internet, ouvre aujourd’hui des librairies physiques et nourrit de grandes ambitions dans le domaine. Il y a donc de très fortes chances pour que d’ici quelques années, nos villes européennes accueillent des librairies physiques Amazon.

Or je me refuse à penser que demain, je me lèverai, je dînerai et je me coucherai Amazon. En réfléchissant à l’évolution des métiers du livre, de la librairie, du commerce et du digital, j’ai conclu que je crois au papier, à des lieux de culture insérés dans le quartier et au local qui soit à la fois global parce qu’aujourd’hui la technologie permet au local de s’adresser au monde entier tout en respectant la tradition des métiers du livre.

Quelle est l’originalité de votre projet ?

V.D. : La révolution digitale est inéluctable. En tant que commerçant, il faut l’accompagner. Historien de formation, je ne suis pas dans la destruction des modèles préexistants mais plutôt dans la prolongation, le respect et la perpétuation. Nous avons donc commencé à imaginer des lieux hybrides avec différentes compétences transversales. Mais comment créer un modèle qui nous distingue clairement des grands acteurs actuellement présents comme de ceux qui risquent d’arriver ? Nous n’avons rien inventé. Nous nous sommes au contraire inspirés du XVIIe siècle, une époque où le libraire, l’éditeur et l’imprimeur ne faisaient qu’un. Pourquoi ne pas retenter l’aventure ?

Nous mettrons donc, au milieu d’une librairie et d’un café, un makerspace du livre à disposition avec un coworking éditorial, un atelier de fabrication du livre (fablab) et un printlab 4.0 doté un robot imprimeur qui fabrique pour vous en 5 minutes un livre personnalisé dont vous pouvez choisir la couverture, la typographie, le format, la langue, et même la taille. Un livre écologique et circulaire car rematérialisé en circuit court, en papier recyclé, avec 0 stock, 0 transport, 0 logistique, 0 invendu, une vraie alternative aux plateformes américaines et ça c’est génial !

Vous êtes un particulier, vous passez par notre librairie et notre café, vous êtes dans votre communauté, vous branchez votre clé USB, vous accédez à des logiciels d’auto-édition et recevez du conseil pour faire ce que vous voulez ! 
Vous êtes un professionnel, une entreprise, notre coworking, véritable pôle de compétences dans le domaine éditorial, vous attend.
Ou vous êtes chez vous, au bureau et vous pouvez publier tout ce que vous voulez !

C’est ce qu’on appelle avoir… « Quartier Libre » ! ;)

Enfin, il faut dire un mot de ce que nous appelons la plate-forme 2.0, l’espace de médiation dans les deux sens du terme. D’une part, nous souhaitons organiser et enregistrer des conférences, des rencontres, faire participer les habitants de notre quartier, les inciter à commenter leurs lectures, à débattre avec les auteurs pour créer du contenu et produire en toute humilité nos propres émissions et vous donner accès à nos événements en direct dans notre espace d’animation et de médiation, et/ou en podcast via nos web-TV et web-Radio.

Nous proposerons aussi QL vis-io, qui offre aux lecteurs bruxellois un ensemble d’outils de curation et de prescription remarquable et révolutionnaire ! Grâce à un traitement intelligent des données de lecture de la communauté Quartier Libre, les libraires et les lecteurs seront invités à la découverte des livres susceptibles de les intéresser. Ils auront la possibilité de littéralement «feuilleter des étagères» de livres, qui seront classés par affinité et non par ordre alphabétique comme dans les bibliothèques physiques…

La gestation a-t-elle été longue et comment voyez-vous l’avenir ?

Les co-fondateurs de Quartier Libre et moi avons commencé à parler de ce concept de manière informelle il y a plusieurs années. Depuis trois ans, on se dit que c’est le moment, qu’il y a quelque chose à faire, et cela fait près d’un an et demi que je travaille à temps plein sur le projet. Nous en sommes maintenant à l’étape finale. La société a été créée en mars 2019 sous forme de coopérative.

Il nous reste à faire grandir le capital. Nous lançons un appel à l’épargne publique grâce auquel vous pouvez acheter une part sociale à partir de 100€ (et bénéficier du Tax shelter). Vous devenez propriétaire d’une partie de l’entreprise et ainsi participez aux assemblées générales. Pour cela il vous suffit de vous rendre sur notre site internet : www.monquartierlibre.com. Nous présentons aussi notre projet à des investisseurs, leurs retours sont positifs même si notre modèle particulier a de quoi les déstabiliser un peu. Quand la levée de fonds sera terminée, nous pourrons passer en phase action et réalisation de l’aménagement avec l’équipe en co-création, en écodesign que nous avons choisie: Design with sense, basée à Saint-Gilles. L’équipe fonctionne en intelligence collective: les gens s’approprient votre projet, le triturent dans tous les sens et à un moment donné, il y a quelque chose qui sort. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nous avons choisi la forme juridique de la coopérative.

Nous ne sommes pas encore tout à fait fixés sur le lieu d’implantation. Saint Gilles, Place Stéphanie/Ch. De Charleroi, Mérode/Montgomery. Saint-Gilles avec son aura de commune d’artistes, a pour le moment notre préférence. C’est en tout cas un projet intrinsèquement bruxellois parce que Bruxelles est la capitale de l’Europe. Elle accueille 180 nationalités différentes, le brassage culturel y est intense. Quel meilleur endroit pour monter ce projet ? Si cela marche, peut-être ira-t-on plus loin. Une ouverture à Montréal a d’ailleurs déjà été évoquée.

De quelles aides avez-vous pu bénéficier et/ou bénéficiez-vous encore ?

Nous avons été admirablement accompagnés par hub.brussels. Nous avons aussi bénéficié de l’aide du Credal quand Quartier Libre s’est constitué sous forme de coopérative. Si notre levée de fonds actuellement en cours se passe bien, la Région renchérira. Elle semblerait en effet prête à investir dans ce projet grâce à finance&invest.brussels et plus particulièrement à sa filiale Brusoc via Coop Us. Il faut d’ailleurs souligner que la Région dispose d’excellents outils de financement des entreprises. Enfin, la banque Triodos nous a aussi donné son accord pour nous accompagner et encadrer le projet.

L’entreprenariat était-il une évidence pour vous ?

On me demande souvent si j’ai fait des études de commerce ou en relation avec les livres. Ni l’un ni l’autre ! Par contre je suis né dans une famille de commerçants, donc j’ai grandi dans ce contexte et je pense que j’y reviens parce que cela me manque.

Après mes études d’histoire et de management culturel à Lille, le Furet du Nord m’a embauché. Puis j’ai eu la joie et l’opportunité de diriger différentes librairies importantes en France. Parallèlement, je me suis intéressé au digital et à la manière dont ces nouveaux outils étaient en train de nous envahir. Peu à peu, j’ai pensé qu’il fallait faire muter la librairie, lui donner un nouveau souffle. C’est ainsi que nous avons commencé à développer le schéma de ce qui sera «Quartier Libre».

Je pense que les pouvoirs publics commencent à se rendre compte que les petits commerçants ont un vrai rôle social dans leur quartier. Les contacts humains ne se quantifient pas et pourtant c’est une richesse à laquelle on n’a pas fait assez attention mais je pense que les choses sont heureusement en train de changer. Il faut se battre pour cela parce que c’est là que se crée la relation, la vie, que ça fait sens. Personnellement, j’ai besoin de rencontrer des gens. Le commerce est donc naturel pour moi.

Article rédigé par Catherine Aerts

Quartier Libre en image

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